Nova Scotia Archives

Les familles Easson et Hoyt

Deux cents ans de vie familiale et communautaire en Nouvelle-Écosse

C'est à notre invitation que Barry M. Moody, Ph.D., professeur d'histoire à l'Université Acadia (Wolfville, N.-É.), a rédigé la présente introduction. Le professeur Moody est un expert du début de l'histoire coloniale de la vallée de l'Annapolis en Nouvelle-Écosse, là où les familles Easson et Hoyt ont choisi de s'établir. Son essai fournit, dans un langage facilement accessible, un cadre et un contexte historiques appropriés aux documents numérisés qui sont présentés dans cette ressource Internet.

Partout où il était possible de le faire dans le texte, les références à des événements précis et à des thèmes prédominants sont accompagnées de liens directs aux documents pertinents dans les archives Easson et Hoyt. Commencez sans tarder votre lecture pour comprendre comment ces familles sont le reflet de leur époque et de leur milieu et servez-vous des liens hypertextes pour explorer plus en profondeur l'histoire de leur vie en Nouvelle-Écosse et ailleurs.

Les Easson — Une famille de la Nouvelle-Écosse

Lorsque John Easson effectue le pénible voyage entre l'Angleterre et Annapolis Royal, en Nouvelle-Écosse, au début des années 1730, ce n'est probablement pas avec l'intention de passer le reste de sa vie dans cet avant-poste colonial, ni d'installer en permanence sa future famille dans le Nouveau Monde. En 1734, Easson accepte un emploi au sein du British Board of Ordnance (l'organisme chargé de l'entretien des nombreuses fortifications militaires de l'Empire, éparpillées un peu partout) à titre de maître-charpentier. À l'époque, Easson est un jeune homme, il est célibataire et il prévoit sans doute passer quelques années profitables en Nouvelle-Écosse à l'emploi du gouvernement, puis retourner en Grande-Bretagne. Le fait qu'il ne demande pas immédiatement à sa future femme de le rejoindre à Annapolis Royal, ce qu'il ne fera qu'en 1741, est probablement un signe qu'il ne s'attend pas à passer le reste de sa vie à cet endroit.

Toutefois, à mesure qu'il s'investit dans la vie commerciale néo-écossaise en pleine expansion, Easson découvre vite qu'il est bien payé pour ce qu'il fait (certainement beaucoup mieux qu'un simple soldat, par exemple) et que la Nouvelle-Écosse présente de nombreuses possibilités d'avancement pour un homme déterminé et qui a le sens des affaires. Au moment de son décès à Annapolis Royal en 1790, il aura réussi à jeter les bases d'une famille néo-écossaise prospère et il aura participé à certains des événements les plus marquants de l'histoire de la Nouvelle-Écosse et de l'Amérique du Nord.

Non seulement John Easson a-t-il fondé une famille néo-écossaise (une des plus anciennes familles anglaises encore en existence au Canada continental) et instauré une solide tradition entrepreneuriale, il est clair qu'il a aussi adopté (et plusieurs de ses descendants ont fait de même par la suite) la pratique de la conservation des documents commerciaux et personnels qui relatent la vie financière et sociale de la famille sur près de deux siècles. Les quelque 1 200 documents de la collection de la Famille Easson-Hoyt ne sont pas les seuls documents sur l'histoire de cette famille à avoir survécu, mais ils en représentent certainement la partie la plus importante. C'est grâce aux documents conservés avec tellement de soin par Easson et ses descendants que nous pouvons beaucoup mieux comprendre la vie quotidienne des Néo-Écossais de même que les événements souvent ordinaires et parfois extraordinaires qu'ils auront vécus. John lui-même, comme le révèlent ces documents, a vécu des événements dramatiques — et a même participé à certains d'entre eux —, lesquels ont façonné l'avenir de sa terre d'accueil.

Il survit à quatre attaques lancées par les Français et les Mi'kmaq contre Annapolis Royal dans les années 1740, et il est témoin du transfert de la capitale de la colonie, qui passera d'Annapolis à Halifax, une toute nouvelle ville fondée en 1749. En 1755, il voit beaucoup de ses connaissances et clients parmi les Acadiens expulsés de force de la colonie lors du Grand Dérangement. Cinq ans plus tard, il contribue à l'arrivée de colons dans la vallée de l'Annapolis et tire profit de cette situation; ces colons, les planteurs de la Nouvelle-Angleterre, proviennent du Massachusetts, du Connecticut et du Rhode Island situés tout près. Leur arrivée transformera la région d'Annapolis et d'autres parties de la Nouvelle-Écosse. L'année 1775 voit le début de la rupture entre la Grande-Bretagne et beaucoup de ses pionniers américains — la Révolution américaine — ce qui redéfinit la carte de l'Amérique du Nord. Easson et son fils David participent activement aux événements de ces années trépidantes, mais dangereuses.

Les répercussions de la guerre changeront encore davantage le monde des Easson, notamment avec l'arrivée massive dans la région d'Annapolis de réfugiés issus du conflit — les Loyalistes de l'Empire uni. Encore une fois, Easson saisit les occasions économiques que présentent ces changements si rapides, répondant à certains des besoins grandissants en matière de terres, de logements et de fournitures diverses. Au moment du décès d'Easson quelques années plus tard, sa Nouvelle-Écosse et son Annapolis auront été transformés.

L'Annapolis Royal où est venu Easson, sans doute en 1734 ou 1735, est un petit village anglais dans une grande colonie, parfois hostile. La région qui est aujourd'hui la Nouvelle-Écosse continentale était devenue colonie britannique depuis sa prise des mains des Français en 1710 et sa cession officielle à la Grande-Bretagne par le traité d'Utrecht en 1713. Toutefois, sauf pour la petite capitale et ville de garnison qu'est Annapolis Royal, et le village de pêcheur encore plus petit qu'est Canso, la colonie est habitée par la population acadienne en expansion, concentrée dans la vallée de l'Annapolis et l'isthme de Chignectou, ainsi que par le peuple autochtone des Mi'kmaq. Les Français, qui ont conservé le soutien et l'amitié des Mi'kmaq, sont forcés de se retrancher dans l'île Royale (île du Cap-Breton) située tout près, là où ils construiront l'impressionnante forteresse de Louisbourg.

L'avenir est précaire pour le nouveau chez-soi de Easson, avec son petit fort mal entretenu et sa garnison inadéquate. Cette dernière ne compte même pas 150 hommes, et la population du village se compose des familles de certains des officiers et des hommes de la garnison, ainsi que d'une poignée de marchands anglais. Après le début des hostilités entre la France et la Grande-Bretagne en 1744, le village et la garnison sont attaqués par les forces françaises et mi'kmaq — deux fois en 1744, une fois en 1745 et encore en 1746. À au moins une occasion, les Britanniques sont presque défaits.

Après la déclaration de paix de 1748, une autre menace vient peser sur l'avenir d'Annapolis Royal l'année suivante. Le gouvernement britannique décide de construire un nouveau centre militaire et administratif pour la Nouvelle-Écosse, cette fois sur la rive sud de la colonie : il s'agit de la ville de Halifax. L'époque d'Annapolis Royal comme capitale politique et principal centre militaire en Nouvelle-Écosse est révolue. La plus grande partie de la garnison et la plupart des fonctionnaires du gouvernement s'en vont à Halifax, faisant d'Annapolis Royal une localité beaucoup moins importante qu'elle ne l'avait déjà été. Malgré tout, Easson prend la décision cruciale de rester là plutôt que d'aller s'installer dans la nouvelle capitale de la colonie.

À cette époque, le village même d'Annapolis Royal, situé sur une petite péninsule entourée d'eau sur trois côtés, ne compte à peine plus qu'une rue, laquelle part du front de mer, passe devant le fort pour se diriger ensuite vers la campagne où habitent les Acadiens. Le village n'a pas encore d'église, sauf un bâtiment où les Acadiens célèbrent les services religieux; il n'y a aucun bâtiment gouvernemental, sauf le fort. La plupart des maisons en bois sont petites et certaines ont même conservé le toit en chaume qui remonte à la période française. À première vue, l'endroit ne semble pas désigné pour retenir bien longtemps l'attention d'une personne ambitieuse comme John Easson.

Même si le travail d'Easson est difficile, puisqu'il doit conserver le fort (l'actuel fort Anne) dans un assez bon état malgré le peu que la Grande-Bretagne est prête à dépenser pour cette tâche, sa nouvelle situation lui procure d'autres occasions qu'il ne tarde pas à saisir. Les documents de cette époque qui ont subsisté jusqu'à maintenant montrent clairement à quel point ses activités sont variées et considérables. Certains documents parlent d'Easson comme d'un entrepreneur en construction. De plus, il s'occupe d'immobilier, il fait construire et il exploite des moulins et des scieries, il met sur pied une ferme et, à la fois seul et en partenariat avec d'autres hommes, il établit un commerce important avec les Acadiens, Louisbourg, la Nouvelle-Angleterre et les Antilles britanniques.

La plupart de ces activités ont été reprises par certains de ses descendants. Les documents, conservés si méticuleusement par Easson et sa famille, donnent une excellente idée de ces activités commerciales et mettent également en lumière la vie sociale de la famille et de la collectivité où elle vivait. La plus grande partie des documents concerne les nombreuses relations d'affaires des Easson sur plusieurs décennies. Même si, à prime abord, ces reçus, factures, billets à ordre et lettres d'affaires peuvent sembler de peu d'intérêt pour le lecteur d'aujourd'hui, un examen plus approfondi donne un aperçu de la précarité et de la difficulté de la vie commerciale au 18e siècle et au début du 19e siècle, ainsi que de la vie quotidienne des habitants d'un petit poste britannique reculé. À une époque se situant bien avant la présence en Nouvelle-Écosse des banques, des chèques et des cartes de crédit et de débit, l'essentiel de la vie commerciale d'une communauté reposait sur le crédit et la confiance, et l'absence d'une monnaie facilement accessible en quantité suffisante forçait souvent la plupart des gens à s'adonner au troc.

Un certain nombre de lettres de la collection traitent des rapports de John Easson avec son agent de Londres, lequel reçoit le salaire que le gouvernement britannique verse à Easson, paie ses comptes en Grande-Bretagne, et lui sert de « banquier ». Cet agent peut aussi faire d'autres transactions d'affaires pour lui, effectuer des achats et les envoyer à Annapolis (en déduisant le coût, plus la commission, des fonds qu'il détient pour son client). Dans une telle situation, la confiance et une tenue de livres rigoureuse sont essentielles. ( MG 1 vol. 3478 A/3,  A/4,  A/11,  A/14 ) On trouve aussi des billets à ordre, essentiellement des reconnaissances de dette, dans les documents Easson. On s'en servait beaucoup dans une société en grande partie sans monnaie en espèces, et ces documents servaient souvent de monnaie. Par exemple, John Easson aurait pu remettre un billet signé à X, reconnaissant qu'il devait à X un certain montant d'argent. X aurait pu transférer le billet à Y parce que X devait de l'argent à Y, et Y, à son tour, aurait pu s'en servir pour payer des biens ou des services achetés auprès de Z. Z aurait alors pu revenir voir Easson pour percevoir le montant dû, le billet ayant peut-être ainsi circulé pendant plusieurs années. ( MG 1 vol. 3478 A/39,  A/91,  A/109,  A/110,  A/129,  A/167,  B/6,  B/14 ) Ces billets avaient cours légal et l'endosseur était tenu par la loi de payer la somme due, sous peine de subir la conséquence de son refus ou de son incapacité de payer ses dettes — la prison — comme ce fut le cas pour David Easson, un des fils de John. ( MG 1 vol. 3478 A/83 )

L'incertitude et les dangers du commerce durant ces années se reflètent également dans les documents. La forteresse française de Louisbourg était un des endroits les plus profitables pour le commerce pour quelqu'un comme John Easson. C'était aussi illégal, puisque le commerce avec la France et son empire était strictement interdit par la loi britannique, les deux pays étant en guerre. Il était aussi très dangereux de s'aventurer en territoire ennemi. Par contre, Easson et d'autres étaient d'avis que le jeu en valait la chandelle, quoique à une occasion, les Mi'kmaq se soient emparés de son navire, et il semble que tout a été perdu. ( MG 1 vol. 3478 A/27,  A/28,  A/29,  A/30,  A/30,  A/31,  A/32 ) Les papiers révèlent aussi d'autres difficultés et dangers liés au commerce : des comptes confus et contradictoires; des navires et leurs cargaisons perdus en mer; des partenaires commerciaux qui déclarent faillite à une époque où les compagnies ne pouvaient pas encore se prévaloir de la responsabilité limitée; les problèmes de perception des dettes; et les difficultés que toutes ces activités entraînaient lorsqu'on réglait la succession de marchands décédés. ( MG 1 vol. 3478 A/20.1,  A/21,  A/24,  A/36,  A/37,  A/66,  A/205,  A/207,  A/208,  A/209 )

Les factures et reçus fort nombreux donnent aussi un aperçu des produits que l'on achetait et que l'on utilisait couramment à une certaine époque et qui sont très peu connus aujourd'hui. Par exemple, la plupart des élèves d'aujourd'hui ne connaissent pas vraiment l'utilité ou la nature d'objets comme le soufre, les pierres à feu, le crêpe noir, les pierres meulières, une écuelle, l'indigo ou le tabac à priser ou à chiquer; pourtant, ces objets faisaient tous partie de la vie quotidienne des premiers membres de la famille Easson. ( MG 1 vol. 3478 A/5,  A/8,  A/9,  A/12,  A/39,  A/126,  B/53 )

La vie des Néo-Écossaises ordinaires au 18e et au 19e siècles est rarement reflétée dans les documents de cette époque. Bien que cette collection soit surtout composée de documents créés par et pour des hommes, on peut toutefois y entrevoir les activités des femmes de la famille. Dans ce temps-là, une femme avait peu de droits outre ceux rattachés à ses rôles d'épouse et de mère; normalement, tous les biens qu'elle aurait pu posséder au moment de son mariage devenaient automatiquement ceux de son mari. Comme le révèlent ces documents, elle conservait ce qu'on appelait son « droit de douaire », la reconnaissance du fait qu'on ne pouvait pas disposer des biens de son mari sans sa permission et, qu'au moment du décès du mari, elle avait automatiquement droit au tiers du résidu de ses biens. ( MG 1 vol. 3478 A/239,  A/241,  A/253,  A/257 ) Certaines femmes ont été en mesure de faire usage de leur droit de douaire pour obtenir au moins une maigre protection de leur bien-être. Mais les mères ne conservaient pas nécessairement la garde de leurs jeunes enfants au moment du décès de leur mari. En 1813, par exemple, le tribunal a nommé Zeruiah (Fairn) Easson tutrice de ses propres enfants lorsque son mari David est décédé. ( MG 1 vol. 3478 A/203,  A/204 )

Bien qu'on n'empêchât pas légalement les femmes de poursuivre une carrière dans les affaires, il était rare qu'elles le fassent. Avant la mort de David Easson en 1790, il n'est pratiquement pas fait mention de sa femme dans les documents qui ont été conservés, bien qu'il ait épousé Elizabeth Fisher en 1770. Par contre, après 1790, Elizabeth a produit beaucoup de documents commerciaux; il est alors évident qu'elle gérait elle-même des affaires et qu'elle a sans doute poursuivi au moins une partie des activités lancées par son mari et entretenu certains de ses rapports commerciaux. ( MG 1 vol. 3478 A/177,  A/178,  A/179,  A/186 )

À l'arrivée de John Easson à Annapolis Royal au début des années 1730, les Acadiens représentent le plus grand groupe au sein de toute la colonie. Même si les documents disent moins de choses que nous ne l'aurions voulu sur ses rapports avec ce groupe démographique important, nous y trouvons quand même des renseignements intéressants. Easson a beaucoup commercé avec les Acadiens, à la fois avant et après la Déportation de 1755, mais les documents les plus intéressants dans cette catégorie parlent en détail de prêts que Easson a consentis à des Acadiens en août 1755.( MG 1 vol. 3478 A/43,  A/44,  A/45 )

À notre connaissance, les Acadiens n'empruntaient normalement pas d'argent, et l'été de 1755 était certainement une période précaire pour Easson pour prendre de tels engagements financiers. Est-ce que les deux parties savaient déjà que l'on allait expulser les Acadiens sous peu? Est-ce que Easson fournissait ainsi à certains de ses amis acadiens de l'argent qu'ils ont pu emporter avec eux dans l'incertitude de l'exil? Nous n'en sommes pas certains, mais les preuves semblent le suggérer. Easson était certainement désolé de voir les Acadiens déportés, faisant remarquer plus tard que l'événement avait durement frappé l'économie de la colonie. ( MG 1 vol. 2166 H/16 )

En 1775, le début des luttes armées entre la Grande-Bretagne et ses treize colonies présente de bonnes occasions et des dangers, et il apporte aussi de grands changements pour la famille Easson. Même s'il ne semble y avoir aucun doute quant à la loyauté de John Easson envers l'Angleterre, puisque c'est à la fois son lieu de naissance et son principal employeur depuis de nombreuses années, il reste que pendant les huit années du conflit il tentera de conserver son commerce et ses liens personnels avec la Nouvelle-Angleterre, tout en servant avec loyauté le gouvernement britannique à Halifax. Il est certain que la guerre présente de bonnes occasions pour un homme d'affaires rusé : Easson et son fils David en tireront profit, vendant des fournitures aux forces britanniques à Boston et à Halifax. ( MG 1 vol. 3478 A/97,  A/98,  A/99 ) Même si le conflit peut être bon pour les affaires, la famille risque d'affronter de nouveaux dangers rattachés à la conduite de son commerce. Des corsaires américains sillonnent les eaux de la Nouvelle-Écosse, s'emparant de navires de commerce et de pêche qu'ils emmènent en Nouvelle-Angleterre. En 1781, plusieurs de ces corsaires attaquent Annapolis Royal, mettant le village à sac et rançonnant deux villageois.

La guerre permet aussi à la famille Easson de se rapprocher de la population autochtone de la colonie. Durant la période avant 1760, les rapports avec les Mi'kmaq avaient été problématiques pour John Easson, puisque ceux-ci s'étaient emparés d'un de ses navires et de certaines marchandises. Toutefois, après 1775, le gouvernement colonial a embauché à l'occasion David Easson pour qu'il leur distribue des rations, dans l'espoir d'obtenir au moins leur neutralité en ces temps d'incertitude. ( MG 1 vol. 3478 A/112,  A/113 )

La fin de la guerre en 1783 entraîne des changements rapides et importants pour la famille Easson et pour Annapolis Royal, avec l'arrivée massive de milliers de réfugiés — les Loyalistes de l'Empire uni — dans la région d'Annapolis. La localité affichera sa population la plus élevée durant l'hiver 1783, les nouveaux arrivants s'entassant dans tout ce qui est habitable dans le village — l'église anglicane, les bâtiments du fort, et toutes les maisons qui peuvent accueillir des gens de plus. On manque de tout, y compris de logements et de terres, et à titre de marchands et de propriétaires fonciers, les Easson ont sûrement fait de bonnes affaires. C'est à cette époque que la famille Hoyt arrive de New York et qu'elle s'installe dans le nouveau village loyaliste de Digby. Les Easson deviendront apparentés aux Hoyt par le mariage; la famille Hoyt figure de manière importante dans cette collection de documents.

Il n'y a pas seulement que des Loyalistes blancs, venus de tous les horizons, qui arrivent dans la région d'Annapolis à ce moment-là, mais aussi des Afro-Américains. Environ le dixième de la migration totale vers la Nouvelle-Écosse à cette époque (soit environ 3 000 personnes) se compose de noirs libres et de noirs encore esclaves. Quelques Afro-Américains sont venus dans la région lors de la migration des planteurs une génération auparavant, mais l'arrivée massive des Loyalistes contribue beaucoup à l'augmentation du nombre et de l'importance de ce groupe. Nous n'avons qu'une documentation fragmentaire sur la plupart de ces personnes, libres et esclaves. C'est une bonne chose qu'ils apparaissent à quelques reprises dans les papiers de la famille Easson. Rien n'indique que la famille a des esclaves, pratique qui sera toujours légale en Nouvelle-Écosse jusqu'en 1833, mais il est presque certain que les Easson emploient des noirs comme domestiques et peut-être pour travailler au moulin et dans les autres entreprises familiales.

Une facture de cordonnerie pour la famille dirigée par Elizabeth Easson en 1811-1812 fait état d'achats et de réparations de chaussures pour « Black Mary » et « Black Charles ».( MG 1 vol. 3478 A/199 ) Il est clair que les nouveaux rapports entre les Easson et certaines des familles noires de Lequille (un village à la périphérie d'Annapolis où les Easson et la plupart des noirs de la région vivent à la fin du 18e siècle) sont étroits. D'autres documents indiquent qu'Alexander Easson a payé les soins médicaux d'un membre de la famille Prior (Pryor), qu'il a aussi fourni des produits de commerce à l'un d'eux, et qu'il l'a probablement aidé à partir en affaires. ( MG 1 vol. 3478 A/235,  B/231,  B/252 ) La présence, dans la collection Easson, d'autres documents, factures et reçus portant le nom de Prior, suggère que les Easson ont peut-être payé ses comptes ou du moins qu'ils l'ont aidé à administrer ses affaires. ( MG 1 vol. 3478 B/273,  B/274,  B/275,  B/276,  B/277,  B/278 ) Des rapports aussi étroits entre des noirs et des blancs ne sont pas nécessairement typiques en Nouvelle-Écosse, ou à Annapolis Royal, à cette époque, et ils nous fournissent un autre éclairage sur certaines des interactions entre ces deux groupes.

Même si nous ne connaissons pas le degré d'éducation qu'avait John Easson avant son arrivée dans la colonie, nous pouvons nous en faire une idée sommaire en examinant son écriture (considérée comme un aspect important de l'éducation à cette époque) et en comparant sa grammaire et son orthographe avec celles que l'on retrouve dans des lettres rédigées par des contemporains bien éduqués. John est en effet vraiment à la hauteur à ces égards.

Les documents nous permettent de comprendre beaucoup mieux les attitudes de la famille à l'égard de l'éducation et d'imaginer les possibilités offertes dans la région. Jusqu'à l'adoption d'une loi scolaire en 1864, l'éducation en Nouvelle-Écosse était souvent offerte de façon irrégulière et dépendait de la disponibilité d'une entreprise privée ou d'une des confessions religieuses. Dans les deux cas, les parents devaient payer pour l'éducation, s'ils en avaient les moyens ou s'ils croyaient que c'était suffisamment important pour y consacrer une partie des maigres ressources de la famille. Beaucoup de jeunes Néo-Écossais n'allaient pas à l'école ou n'y allaient pas longtemps.

Il est évident que John Easson croyait en l'importance de l'éducation, à la fois formelle et informelle, opinion qu'il semble avoir transmise aux générations suivantes. Une entente formelle intervenue en 1760 entre John et son fils David, alors âgé de 11 ans, illustre une certaine forme d'éducation; il s'agissait pour David de devenir l'apprenti de son père pour apprendre le métier d'entrepreneur en bâtiment (un des premiers contrats d'apprentissage documentés en Nouvelle-Écosse). Beaucoup de parents ont recours à ce type de formation sur le tas au 18e siècle et pendant une bonne partie du 19e siècle.

Malgré toute l'importance d'apprendre un métier, ce n'était pas la seule chose que John Easson voulait donner à son fils. Il enverra plus tard David à Boston pour qu'il y reçoive un enseignement plus formel, puisqu'il y a peu de possibilités dans la région d'Annapolis. Soixante-dix écoles, à une époque privées, verront le jour à Boston. Plus tard, les enfants des Easson les fréquenteront, comme le prouvent les diverses factures, bien que ces frais soient souvent payés en nature avec des produits provenant des fermes et du moulin des Easson ( MG 1 vol. 3478 A/182,  A/227,  A/233,  A/244,  A/245,  A/251,  B/98,  B/102,  B/102.1,  B/102.2 ) Ce n'est qu'avec l'introduction des écoles publiques dans les années 1860 que cette pratique prendra fin et que les Easson commenceront à payer des taxes scolaires, qu'ils aient ou non des enfants à l'école. ( MG 1 vol. 3478 B/311,  B/311.2,  B/311.3 )

Dès 1752, Easson, en partenariat avec un autre marchand d'Annapolis, Daniel Dyson, commence à s'intéresser au potentiel économique du commerce avec les Antilles britanniques. Bien que cette première entreprise soit un désastre, les associés ayant perdu le navire et sa cargaison, ( MG 1 vol. 3478 A/15,  A/20 ) les prochaines générations maintiendront l'intérêt et la participation de la famille Easson dans cette région. ( MG B/124 ) Dès 1770 (et probablement beaucoup plus tôt), John met sur pied un commerce rentable avec la Jamaïque, d'où il importe du rhum et du sucre en échange de produits agricoles de la Nouvelle-Écosse, et sans doute de poisson. ( MG 1 vol. 3478 B/7,   MG 1 vol. 2166 H/58,  H/59,  H/60,  H/61 )

En 1773 ou 1774, William, un des fils de John, s'installe en Jamaïque; nous ne sommes toutefois pas certains si cela fait partie d'un plan de la famille ou s'il le fait de son propre chef. ( MG 1 vol. 3478 A/131 ) Là-bas, outre son travail de commis, il commence à investir dans les opérations foncières et, semble-t-il, dans le commerce des esclaves.) ( MG 1 vol. 2166 H/43 ) Pendant une bonne partie du 19e siècle, les Easson feront le commerce avec les Antilles britanniques, y vivront et visiteront la région, à l'instar des solides rapports et des activités que d'autres familles néo-écossaises entretiennent avec ces îles.( MG 1 vol. 2166 H/52,  H/53,  H/57,  H/76 )

Même si les papiers des familles Easson et Hoyt sont surtout de nature financière, ils jettent néanmoins beaucoup de lumière sur les vies sociale et matérielle de ces gens et sur la société dont ils faisaient partie. Les deux invitations manuscrites, une à un « Bachelor's Ball » en 1833 et l'autre à un « Calico Ball » en 1875, révèlent des détails intrigants sur la vie sociale à Annapolis et nous amènent à nous demander ce qu'est un « Calico Ball ». ( MG 1 vol. 3478 A/238,  A/282 ) Des inventaires détaillés des biens de John et de David Easson fournissent amplement de renseignements sur la manière dont les familles vivaient et sur leur degré de confort. ( MG 1 vol. 3478 A/173,  A/174,  A/201 ) Nous retrouvons, dans d'autres documents, le coût des funérailles de John Easson, y compris du vin, ce qui nous éclaire un peu sur les rituels entourant la mort. ( MG 1 vol. 3478 B/40.2,  B/111.1,  B/122 ) Il est rare de trouver en Nouvelle-Écosse les dépenses détaillées de la construction d'une maison vers la fin du 18e siècle; non seulement avons-nous ces détails pour la maison des Easson, dont la construction s'étendra de 1799 à 1806, mais la maison existe toujours à Lequille. ( MG 1 vol. 3478 A/188 )

Les papiers attestent aussi des changements survenus au cours des années. Les premières générations ont beaucoup travaillé dans le commerce de l'alcool, surtout du rhum, mais en 1855, James Easson se joint à la Temperance Union (mouvement pour la prévention de l'alcoolisme) qui, contrairement à son nom, ne militait pas en faveur de l'usage modéré de l'alcool, mais bien en faveur de son élimination complète. ( MG 1 vol. 3478 A/271 ) De même, dès le milieu du siècle, d'autres descendants de la famille Easson embrassent de nouvelles carrières, certains tirant profit des technologies avancées de l'époque, tel le télégraphe. ( MG 1 vol. 3478 A/266,  A/267 )

Compte tenu de la quantité et de la qualité des documents, cette collection enrichit grandement non seulement notre compréhension des membres de la famille qui ont produit les factures, reçus et lettres, mais aussi d'Annapolis Royal et de la région, surtout durant le 18e siècle et le début du 19e siècle. Grâce également à d'autres documents de la famille Easson éparpillés dans divers magasins et collections, comme au bureau d'enregistrement, un portrait remarquablement détaillé d'une famille néo-écossaise importante commence à se dessiner, ce qui devrait par la suite nous aider à mieux comprendre l'évolution commerciale et personnelle d'individus et de collectivités au début de la période coloniale britannique.

Barry M. Moody
Port Royal, Nouvelle-Écosse
Juin 2007


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