Nova Scotia Archives

« Un Port de la côte Est » : Halifax en temps de guerre, 1939-1945

William D. (Bill) Naftel est un résidant de longue date d'Halifax et l'auteur de deux livres récents consacrés à la ville : Halifax At War: Searchlights, Squadrons and Submarines 1939-1945 (Halifax, 2008) et Prince Edward's Legacy: The Duke of Kent in Halifax: Romance and Beautiful Buildings (Halifax, 2005). Après avoir fait des études aux universités King's College et Dalhousie, Bill commença à travailler, en 1963, aux Archives nationales du Canada (appellation de l'époque) à Ottawa, puis obtint par la suite un transfert à Parcs Canada. Il consacra le reste de sa carrière active, d'abord à Ottawa et plus tard à Halifax, au soutien du programme des parcs nationaux, par ses recherches sur une grande variété de sujets, allant de l'histoire des ranchs dans l'Ouest canadien au 19e siècle au transport par voies canalisées, et termina sa carrière en tant que Directeur du programme historique de la région de l'Atlantique.

Dans la mesure du possible, dans le texte qui suit, les mentions de lieux, de personnes ou d'événements spécifiques ont été directement reliées aux photos ou aux documents numérisés correspondants qui figurent ailleurs dans le présent site Web.

« Un Port de la côte Est « en guerre, 1939-1945

Remontons le temps et essayons de visualiser pour un moment l'ancienne ville d'Halifax et ses alentours tels qu'ils étaient au cours de l'été 1939..... Pendant 190 ans, le vaste havre, appelé Chebucto par les Micmacs et Bedford Basin par les Anglais, avait abrité la Marine royale britannique — et plus récemment, depuis 1910, les navires n'ayant jamais servi de la jeune Marine royale du Canada. Le havre était un endroit achalandé, et ce, même avant la déclaration de guerre — il n'y avait pas encore d'installations de conteneurs ou de ponts suspendus, mais le trafic incessant des navires hauturiers, des trafiquants côtiers, des transbordeurs de port et des derniers grands voiliers créait assez d'activités pour satisfaire pleinement l'observateur ou le curieux.

Sur une péninsule rocheuse élevée formant le côté ouest du canal reliant le bassin de Bedford à l'Atlantique s'étendait la capitale provinciale, Halifax, laquelle avait été établie en 1749 en contrepoids à la base française de l'époque, Louisbourg. Depuis 1759, la ville abritait l'arsenal CSM, un vaste établissement s'étendant le long du littoral, juste au nord du centre de la ville. Le quartier d'affaires du centre-ville, dont les rues principales étaient Barrington et Gottingen, était dominé par le fort George ou « La Citadelle », témoin d'un passé où Halifax avait été une garnison de l'armée britannique.

En face d'Halifax, de l'autre côté du havre, se trouvait la ville de Dartmouth. En 1939, la ville avait son dynamisme propre, son économie et ses assises industrielles n'étant pas encore tributaires de son agglomération suburbaine. Dix miles (16 km) au nord, en amont du bassin, se trouvait Bedford. Son prestige en tant que station estivale s'effritant peu à peu, Bedford commençait à peine à explorer un nouvel avenir comme cité-dortoir, misant sur le service de train de banlieue des Chemins de fer nationaux du Canada en partance de Windsor Junction et sur la splendide nouvelle autoroute de béton qui se rendait à Halifax.

Le retrait des Forces britanniques après 1906 et la perte d'identité, en tant qu'avant-poste impérial et ville garnison, qui s'ensuivit, avaient causé à Halifax un choc tant psychologique qu'économique et, en 1939, la ville était encore en processus d'adaptation. Une brève période de prospérité au cours de la Première Guerre mondiale lui avait apporté un certain répit, mais, lorsque le boom prit fin, l'économie locale se retrouva en difficulté et ce, tout au cours des « Années folles », puis de la « Grande dépression » des années 30. En 1939, la ville était à bout de souffle, terne et sans doute à la recherche d'une nouvelle identité.

Bon nombre des quartiers qui formaient la ville d'Halifax étaient quelque peu délabrés — c'était un port de mer après tout — mais, pour les gens qui jouissaient d'un revenu et de liens familiaux, l'endroit était assez confortable pour y vivre. Il devenait toutefois moins attrayant pour les personnes qui n'avaient ni revenu, ni relations. Comme partout ailleurs, le filet de sécurité sociale de l'époque reposait sur une combinaison de charité publique et privée, mesquine, indiscrète et parcimonieuse, distillée au compte-gouttes, autant par idéologie qu'en raison de la forte demande. Halifax ne manquait surtout pas de taudis, spécialement dans le secteur riverain du centre; dans les collectivités éloignées de Beechville, Africville et Preston, la ségrégation raciale de facto avait isolé les Afro-Néo-Écossais de toutes classes économiques confondues.

Une partie du présent site Web est dédiée à la visite virtuelle du modeste tissu urbain de la ville ainsi que de ses services locaux, tout aussi modestes, tels qu'ils existaient juste avant la Seconde Guerre mondiale. Parmi ces services, il faut noter le système municipal désuet d'approvisionnement en eau pour la péninsule d'Halifax; les services électriques desservant à la fois la ville et la région, générés par la société privée Nova Scotia Light and Power — qui fournissait également le gaz d'éclairage à de nombreux foyers — et distribués au moyen d'un réseau de tuyauterie souterraine; enfin, un tramway urbain, également exploité par la NSL&P, qui, rendu en 1939, avait un besoin urgent d'une injection massive de capitaux pour renouveler son équipement et prolonger son circuit.

La ville était enjolivée par de magnifiques parcs — les parcs Point Pleasant et Public Gardens sur la péninsule; le parc Sir Sanford Fleming, site d'une tour commémorative surnommée (« The Dingle « ) et surplombant le Northwest Arm; et enfin, une série de lacs derrière Dartmouth qui procuraient d'incomparables possibilités de loisirs d'hiver et d'été, tout en fournissant la glace pour les glacières partout à Halifax, à Dartmouth et en périphérie (les réfrigérateurs électriques modernes étaient rares à cette époque).

Pendant à peine quelques jours en juin 1939, ce petit monde situé à la périphérie du Canada Atlantique miroita tel un mirage.....avant de disparaître à jamais. La visite du roi George VI et de la reine Elizabeth au Canada et aux États-Unis, en mai et en juin, fit souffler un vent passager d'euphorie dans tout le pays, et Halifax était leur dernière étape canadienne. Le luxueux paquebot blanc Empress of Britain quitta le port sous un soleil radieux d'été, transportant les souverains vers Terre-Neuve (alors un dominion distinct) avant de retourner en Grande-Bretagne, pendant que des milliers de personnes saluaient de la main et chantaient au revoir le long du littoral.

Ce fut le dernier débordement d'enthousiasme. Le vague espoir de paix inspiré par les accords de Munich de 1938 disparut en quelques mois. Le 1er septembre 1939, l'Allemagne, ne s'attendant à rien de plus que du vent de la part de la Grande-Bretagne et de la France, franchit la frontière polonaise. Au grand mécontentement d'Hitler, les deux puissances européennes s'opposèrent vigoureusement à cette invasion et, le 3 septembre, la guerre mondiale fut déclenchée. La surprise ne fut pas totale. La Marine canadienne avait déjà commencé à installer tranquillement une infrastructure de guerre locale, tandis que, pendant des mois, la GRC et Nova Scotia Light and Power avaient pris des dispositions pour protéger les services essentiels contre tout acte potentiel de sabotage ou d'agression.

Pour une question d'ordre constitutionnel, le Dominion du Canada, sous le gouvernement du premier ministre libéral Mackenzie King, ne déclara officiellement la guerre que le 10 septembre. Officieusement toutefois, le Canada, à l'instar des Britanniques, se préparait depuis le tout début. À la fin d'août, comme on s'attendait au pire, l'armée locale et les forces de réserve furent appelées et mises en garnison aux anciens forts impériaux du havre, lesquels longeaient encore le littoral d'Halifax-Dartmouth, depuis l'ARS jusqu'à l'entrée du port. La plus grande partie de la petite flotte du Pacifique de la MRC se pressa de traverser le Canal de Panama et se dirigea à toute allure vers les abords d'Halifax, où l'on prévoyait de l'action. Lorsqu'à la mi-septembre les navires arrivèrent, la Marine royale britannique, sous le commandement du contre-amiral Stuart Bonham-Carter, était installée dans l'arsenal canadien de Sa Majesté pour coordonner l'extrémité ouest de ce qui serait la voie de navigation vitale vers la Grande-Bretagne — exactement comme au bon vieux temps d'avant 1906.

« La bataille de l'Atlantique », terme utilisé à l'époque et encore maintenant, a commencé avec le départ d'Halifax, le samedi 16 septembre 1939, du premier convoi, le HX 1. La décision de l'Allemagne de soumettre la Grande-Bretagne en essayant de l'affamer —spécialement après que les Forces allemandes, à l'issue des offensives du printemps 1940, se soient rendues maîtres de la plus grande partie de l'Europe occidentale — transforma toute l'Atlantique Nord en front de bataille. Les « meutes » de sous-marins allemands (« appelés U-boots ») et initialement quelques cuirassés, comme le fameux Bismark, cherchaient à anéantir le trafic sur les voies de navigation, lesquelles, après la chute de l'Europe, étaient les seules sources de ravitaillement de la Grande-Bretagne pour quoi que ce soit, de l'équipement militaire aux denrées alimentaires, en passant par les matériaux de construction. Tout ce qui bougeait à la surface de l'océan était une proie rêvée pour les torpilleurs allemands et, jusqu'à 1943, ces derniers semblaient près de la victoire.

Cette bataille pour le contrôle des voies de navigation — « La bataille de l'Atlantique » — dura jusqu'à la toute fin de la guerre. Pour des besoins de sécurité et de défense, des douzaines de navires étaient regroupés à des points d'embarquement stratégiques, comme Halifax, où l'on procédait au chargement des troupes, des munitions et du ravitaillement, puis ils se dirigeaient vers l'est, à leur port de destination, au sein d'immenses groupes, ou convois, s'étendant sur des milles d'océan. Ces flottilles étaient accompagnées d'escortes navales armées de pièces d'artillerie et de grenades sous-marines et, avec le temps, de petits porte-avions et de patrouilleurs aériens long-courrier.

Il y avait des routes de convois partout dans le monde — vers la Méditerranée, l'Extrême-Orient et l'Australie, ainsi que la Russie, via le port nordique de Mourmansk. La plupart des convois réunis à Halifax se dirigeaient toutefois à destination de la Grande-Bretagne, ou empruntaient l'interminable et très dangereux « passage de Mourmansk ». Soumise à cette terrible pression, la Marine royale du Canada — novice au début de la guerre — se prit en main avec une rapidité exceptionnelle; en l'espace de deux ans, elle s'affirma suffisamment pour établir sa prépondérance dans son port d'attache de l'est et était en bonne voie de devenir une puissance de l'Atlantique Nord.

Jusqu'à ce que les États-Unis entrent en guerre, en décembre 1941, Halifax — le terminus du réseau transcontinental pour le fret et les passagers, et aussi le grand port canadien le plus près de la Grande-Bretagne — fut le principal point de ralliement et de stationnement nord américain au soutien de l'effort de guerre outre-mer. Même après que des villes américaines comme Boston et New York fussent devenues les chefs de file, l'excellent port d'Halifax, sa proximité avec les principales routes maritimes et ses installations navales et marines bien établies, permirent à la ville de continuer à jouer un rôle essentiel, et ce jusqu'à la fin des hostilités.

Bien sûr, la population locale connaissait l'existence de ces constantes allées et venues et la ville débordait de marins marchands et de matelots provenant des équipages des convois. Toutefois, le sujet était tabou et il était officiellement défendu de parler d'eux ou de leurs cargaisons. Ainsi, jusqu'à la fin de la guerre, personne à part les gens directement concernés, n'était au courant, par exemple, que des milliards de dollars des réserves d'or des états britannique, français et norvégien avaient traversé l'océan en direction d'Halifax, où ils avaient été immédiatement déchargés et transbordés sur plusieurs centaines de pieds vers les trains qui les attendaient, puis ensuite stockés pour leur protection dans des voûtes bancaires d'Ottawa et de New York.

En raison de tout cela et de bien plus encore, les citoyens du mystérieux « Port canadien de la côte Est » — nom rapidement donné à la ville par les censeurs de presse officiels, pour des raisons de sécurité — furent aux premières loges d'un spectacle saisissant pendant les six longues années qu'Halifax servit de porte principale du Canada. Ainsi, ils pouvaient voir le port se remplir et se vider sans arrêt — les navires marchands et militaires arrivant et repartant à la douzaine, que ce soit de magnifiques navires de ligne avec camouflage, des destroyers, des frégates ou des sous-marins flambant neufs, ou encore, des semi-épaves à peine à flot, endommagés par l'homme et par la nature. Les citadins vivaient en permanence dans le bruit et la confusion, essayant sans succès de ne pas entendre le tapage incessant qui envahissait la ville.

Dans le ciel, sauf si le brouillard ou les nuages ne les empêchaient de décoller, les moteurs d'avions grondaient sans fin. Sur les quais et dans les hangars des terminaux du port, à l'extrémité sud de la ville, et dans leurs cours de triage et celles de Rockingham, quelques kilomètres plus loin, le bruit ne cessait jamais. Les locomotives ronflaient et sifflaient 24 heures par jour — pour aiguiller les wagons de marchandises, les voitures-coach et les voitures-lits et transborder les marchandises, le matériel et les troupes, de l'hinterland continental aux navires en attente d'être convoyés outre-mer. Les terminaux portuaires accueillaient également une vague constante de soldats, de matelots et d'aviateurs renvoyés au pays pour cause d'invalidité, de même que d'innombrables diplomates en mission, membres de la royauté et réfugiés, prisonniers de guerre et troupeaux turbulents d'enfants réfugiés britanniques, appelés « Enfants invités », qui fuyaient leurs villes bombardées pour trouver refuge au Canada.

Plus au nord le long du havre, le fracas métallique des pistolets à riveter et le sifflement des chalumeaux soudeurs résonnaient depuis l'arsenal CSM et les vastes installations du chantier naval d'Halifax, sur les deux côtés du havre, où l'on réparait et ragréait des navires de toutes sortes et de toutes provenances. Une myriade de petits ateliers de réparation de navires venaient compléter les grandes installations du chantier naval, dont l'activité était en grande partie concentrée sur les innombrables travaux de réparation — de dommages causés presqu'autant par les tempêtes ou par les collisions entre les navires formant les convois, que par le feu de l'ennemi. En fait, l'unique nouvelle construction importante entreprise à Halifax durant les années de guerre fut le destroyer HMCS Micmac, inauguré en 1943, quoiqu'un grand nombre d'aéronefs d'appui, de moindre importance, fûrent construits ailleurs dans la province.

Une fois que les dommages causés par le mauvais temps ou une attaque de l'ennemi étaient réparés, que les troupes étaient embarquées et que les convois étaient organisés dans le bassin de Bedford, la flottille se trouvait de nouveau prête à relever le défi toujours renouvelé qui l'attendait au-delà du filet anti-sous-marin tendu d'un côté à l'autre de l'embouchure du havre, entre l'île McNab et la redoute York. L'imposant rideau d'anneaux d'acier, tenu en place par des bouées, pendait de la surface au fond du havre et avait pour but d'empêcher que des sous-marins et des navires ennemis non détectés ne s'introduisent dans le port. Le filet était tendu en permanence; les convois ou les navires militaires qui arrivaient s'arrêtaient à une « batterie de contrôle » à la sortie de l'île McNab pour établir leur identité, après quoi deux petits bâtiments « garde-barrière « ramenaient une section du filet pour leur permettre d'entrer dans le havre; on procédait à la manœuvre contraire pour faire sortir les navires du port.

De l'autre côté du havre, la raffinerie Imperial Oil, petite mais rentable, construite juste au sud de Dartmouth en 1918 et entourée par sa propre ville de compagnie autonome (« Imperoyal »), prenait rapidement de l'expansion, en raison des besoins en huile, en essence et en produits pétroliers; elle devint vite la plaque tournante de la voie de ravitaillement de la Grande-Bretagne, de la MRC et de l'ARC (ancien nom des Forces aériennes). Dans le même voisinage, la base de l'ARC de Dartmouth devint rapidement plus imposante que l'ancienne hydrobase des Forces navales des É.-U. qui avait occupé les lieux lors de la Grande Guerre; elle se dota de pistes pavées modernes à la place des terrains herbeux, pittoresques mais désuets, de l'Aéroport civil d'Halifax au « Chebucto Field »; ce qui amena la création d'une petite ville en soi, avec des baraques, des maisons, des églises et des écoles.

D'autres industries locales — que ce soit la fabrique de chocolats Moirs au centre-ville d'Halifax, l'entreprise de travaux de peinture Brandram & Henderson sur le chemin Kempt, ou l'usine de câbles et cordages Plymouth Cordage Company à l'extrémité nord de Dartmouth — fonctionnaient toutes à plein régime pendant la guerre, sous une pression forte et constante. De plus, malgré une pénurie d'équipements, de matériel et d'employés, elles prirent toutes de l'expansion.

En plus d'être la capitale provinciale, Halifax était également devenue, au début des années 1930, le plus important centre de services gouvernementaux du Canada Atlantique, accueillant les agences et les bureaux locaux des gouvernements tant fédéral que provincial. La bureaucratie du temps de guerre, à l'instar de l'industrie de guerre, prenait un essor prodigieux. Bon nombre de citoyens — y compris pour la première fois les femmes, qui commençaient à savourer leur nouvelle indépendance — travaillèrent à administrer le rationnement des aliments et du carburant, la réglementation des prix des marchandises et les exigences d'enregistrement des citoyens, qui visaient tous et chacun.

Dans les premiers mois de la guerre, les citoyens pouvaient voir leur vieille ville commencer à briller un peu, l'argent commencer à circuler avec les nouveaux emplois, et de nouveaux jeunes visages en uniforme commencèrent à se présenter aux réceptions et aux danses. Noël 1939 prit même une allure un peu scintillante et exaltée oubliée depuis longtemps. Des touristes des États-Unis, encore en paix avec le monde entier, affluaient pour assister au spectacle. Si c'est ça la guerre, pensaient les Haligoniens, peut-être faudrait-il dire un bon mot en sa faveur.

Mais ils finirent par déchanter. Comme les mois passaient, les citoyens pouvaient maintenant voir le flot des quelques centaines de nouveaux jeunes visages se métamorphoser en un torrent — des milliers et des milliers de matelots, de soldats et d'aviateurs en transit, en grande partie de passage pour un jour ou une semaine à peine. De plus en plus, ces jeunes gens étaient oisifs et se mouraient d'ennui, ou revenaient abattus d'une mission de patrouille dans l'implacable Atlantique Nord. Ils voulaient se divertir, s'amuser, faire quelque chose pour oublier. Il fallut donc se rendre à l'évidence, ça ne serait pas si facile après tout.

À cette foule en uniformes s'ajoutaient les travailleurs de guerre nouvellement arrivés, que l'on faisait venir afin de pourvoir temporairement en personnel le gouvernement et les bureaux militaires, ou encore de maintenir la production à toute heure du jour et de la nuit dans les usines de guerre. Moins nécessaire était la caravane des suiveurs, appelés « camp followers « — femmes et familles des travailleurs et des fonctionnaires venus d'ailleurs, qui, contre tout avis, s'entassaient par milliers dans la ville, non préparée pour une telle invasion. Il n'y avait tout simplement pas de place où les loger. Des citoyens patriotiques et bien intentionnés répondirent aux appels publics et prirent des pensionnaires et des locataires, offrant les meilleures conditions qu'ils pouvaient dans les circonstances; toutefois, il y eut des opportunistes qui profitèrent des nouveaux arrivants et les grugèrent à tel point que leur réputation de mauvaise foi persista pendant au moins une génération après la fin de la guerre.

Le taux d'inoccupation des appartements, des chambres et des maisons tomba quasi à zéro, alors que la population des deux villes fit un bon prodigieux, de 67 872 pour Halifax et 9 964 pour Dartmouth en 1939, elle passa, en 1944, à 106 742 et à 17 277 respectivement. Des relevés non officiels font état de chiffres encore plus élevés. Le gouvernement du Canada et le ministère de la Défense nationale n'apportèrent qu'une aide minime pour solutionner le problème de logement. Pour dire vrai, à partir de 1941, une politique de construction de maisons « préfabriquées » pour les travailleurs de guerre fut établie partout au pays, et plus d'un millier furent construites à Halifax. Mais, dans une ville où les immeubles d'habitation étaient pratiquement inconnus, les « appartements » rares et les maisons de chambres et pension encore plus rares, la situation était désespérée. Des baraques furent construites pour les travailleurs célibataires et pour les marins marchands en permission à terre. L'armée et l'ARC assumèrent toutes deux graduellement la responsabilité de loger la majorité de leurs gens. Quant à la MRC, elle refusa systématiquement, presque jusqu'à la fin de la guerre, de fournir des logements pour les milliers de membres de son personnel en permission ou en service à terre, les laissant plutôt à la merci des propriétaires locaux.

Depuis le départ des Forces britanniques au début du siècle, le « Port de la côte Est » du Canada était devenu un endroit un tant soit peu guindé; la ville n'était pas habituée en temps normal à être envahie par des hordes toujours renouvelées de militaires et de travailleurs de guerre. Les gens pouvaient se procurer de l'alcool, mais dans certaines circonstances restreintes, ce qui favorisait le commerce illite d'alcool et les débits de boisson clandestins. Étant donné que les conventions sociales strictes de l'époque voyaient également d'un mauvais œil les relations hors mariage, inévitablement, la nature et la libre entreprise suivaient leur cours. Durant toute la guerre, la vie de la rue les week-ends de jour de paye à Halifax prit une allure dantesque jamais vue par la suite.

Dès le tout début, quelques citoyens éclairés sentirent qu'ils se devaient d'accueillir ces étrangers dans leur milieu et de leur procurer des occasions de se reposer et de se détendre qui puissent leur faire oublier les circonstances stressantes, et souvent la solitude, dans lesquelles ils étaient plongés. Ce que ces quelques personnes entreprirent dans les premières années de la guerre devint un exemple resplendissant de solidarité, très peu reconnu à sa juste valeur à l'époque et encore maintenant. Tout a commencé avec l'établissement de la cantine du nord-est (North End Canteen) dans la salle paroissiale de Saint Mark (Saint Mark's Parish Hall), par Janet McEuen et un groupe d'épouses de marins, à l'automne 1939. Dans les premières années de la guerre, voyant les rues de la ville remplies de jeunes hommes oisifs et sans le sou venant des navires du port, ces femmes pensèrent qu'il leur faillait des endroits où aller pour tromper leur ennui.

Avant longtemps, un réseau impressionnant de « refuges », hôtels et cantines se développa partout dans la ville et ses alentours. On y servait des repas aux soldats et aux marins, leur offrait à boire et à manger, un lit, un bain et une oreille attentive — et parfois même quelques jours de vacances loin de la ville et de l'intensité de la guerre. Il y avait des Hôtels de la marine marchande, des refuges du YMCA et des Chevaliers de Colomb, des cantines de l'Armée du salut et de l'IODE (Ordre impérial des filles de l'Empire). De plus, chaque congrégation religieuse importante de la ville mettait ses propres équipements à la disposition des membres de sa confession qui séjournaient dans la ville ou y étaient de passage. Non seulement le nombre de ces installations était-il très disproportionné par rapport à la taille de la communauté, mais celles-ci fonctionnaient presque entièrement grâce à l'inlassable travail de bénévoles.

Les Haligoniens s'efforçaient de s'adapter à ces nouvelles tensions dans leur ville, mais souvent, ils n'y arrivaient pas. Avec la meilleure volonté du monde, la communauté provinciale de la tempérance se concentrait sur les effets collatéraux fortement visibles de l'abus des boissons alcoolisées; exerçant des pressions en hauts lieux, ses membres s'évertuaient à contrôler les normes sociales en s'assurant de faire respecter à la lettre des lois qui ne convenaient plus à l'endroit et à la situation. C'était devenu une risée nationale et une source de ressentiment et de cynisme à l'échelle locale.

Au sommet de la pyramide des efforts bénévoles se trouvait le « Halifax Concert Party », organisé par le chaleureux et charismatique Hugh Mills, avec l'inlassable soutien de sa femme Jean et de sa sœur Gertrude. Ensemble, ils créèrent un organisme de divertissement qui misait sur les talents locaux bénévoles, donnant gratuitement spectacle après spectacle devant une mer sans fin d'hommes en uniforme. Rien n'était trop difficile, aucun auditoire n'était trop petit, aucun moment n'était inopportun, aucun endroit n'était trop éloigné — et aucune somme d'argent n'a jamais passé d'une main à l'autre. Comme si ce n'était pas assez, ils recueillaient et distribuaient des « surplus » de toutes sortes — gramophones, pianos, cylindres piqués et disques, instruments de musique, jeux de patience, rideaux, meubles, costumes et équipements d'éclairage pour les pièces de théâtre — pour suppléer au peu de commodités officielles et autorisées.

La consommation privée des riches comme des pauvres commença à chanceler en automne 1941. Jusqu'à cette date, les dépenses du temps de guerre avaient couronné l'économie d'une auréole de prospérité. À la fin de l'année, toutefois, il était devenu de plus en plus clair que la Seconde Guerre mondiale serait un long périple, lequel demanderait des ajustements fondamentaux, autant dans les foyers que sur le front de bataille. La production du matériel de guerre devrait l'emporter sur les biens de consommation de toutes sortes, et les citoyens devraient être amenés, par tous les moyens possibles, à participer à l'effort de guerre. Des pressions incessantes furent exercées sur les salariés pour qu'ils contribuent à l'effort de guerre en consacrant tout leur revenu disponible à l'achat de Bons de la Victoire, par des retenues à la source, repoussant ainsi la consommation civile jusqu'à l'après-guerre. La persuasion amicale du début visant à réduire la consommation de sucre, d'œufs, de caoutchouc, d'essence et d'autres biens de première nécessité céda la place au contrôle des prix et au rationnement des aliments, et ce, pour permettre au Canada, non seulement de se nourrir et de s'approvisionner lui-même, mais également de porter secours à une Angleterre assiégée.

Pour mieux réglementer le processus et assurer l'équité, la Commission des prix et du commerce en temps de guerre, mandatée par le fédéral, fut instaurée dans tout le pays en octobre 1941. En l'espace d'un an, presque tout ce qui n'était pas immoral ou illégal devint impossible à obtenir, ou requérait la présentation d'un coupon de rationnement, ou encore exigeait un permis d'utilisation ou d'obtention. Chaque famille de l'ensemble du Dominion du Canada était soumise exactement aux mêmes règles, mais le « Port de la côte Est » du pays semble avoir eu un traitement « plus égal » que d'autres. Une véritable corne d'abondance de produits et de denrées alimentaires arrivait à grands flots par les voies du CN, d'abord dans la ville, puis directement dans les cargos, et enfin, vers l'Angleterre. De surcroît, quand ces convois partaient à toute vapeur, leurs cuisiniers et leurs blocs-cuisines laissaient derrière eux des magasins locaux aussi vides de produits d'épicerie que s'ils avaient été saccagés et pillés par les Allemands.

Les convois marchands, ainsi que leurs escortes navales et aériennes, semblaient également se liguer de temps à autre pour assécher la raffinerie d'Imperoyal, laquelle essayait déjà tant bien que mal de compenser pour les interruptions d'approvisionnement en huile brute résultant de l'interception par les U-Boots allemands des pétroliers entrant au port. Comme si tout cela ne suffisait pas, les maraîchers de Cole Harbour et les communautés africaines de la Nouvelle-Écosse, à l'extérieur de Dartmouth, qui apportaient leurs produits à Halifax pour les vendre les jours de marché, avaient mille et une difficultés à trouver de l'espace pour mettre leurs paniers et leurs chariots sur les minuscules transbordeurs de port, encombrés comme ils étaient par les véhicules et le personnel militaires. N'oublions pas qu'il n'y avait alors ni ponts, ni même de camions disponibles pour transporter les marchandises des civils. Enfin, que l'infortuné chef de famille ait ou non son livret de rationnement en main quand il ou elle se présentait au magasin ou au poste d'essence, les tablettes pouvaient très bien être vides et les pompes à sec.

Les foules, les convois, le tapage et le rationnement n'étaient en aucune façon les seuls « inconvénients » de temps de guerre éprouvés par les citoyens du « Port de la côte Est ». Quelque part entre les inconvénients et les amusements, se trouvait l'initiative de la Protection civile, créée pour protéger les civils des ravages des attaques aériennes ennemies. Des rideaux de camouflage et des seaux de sable pour éteindre les dispositifs incendiaires furent exigés pour chaque résidence — sous la menace d'amendes substantielles en cas de non-respect. Les coordonnateurs d'urgence lors des raids aériens étaient entraînés pour diriger les gens et maintenir l'ordre en cas d'attaque. Opérant à partir du voisinage des refuges du PRA, ils arpentaient les rues durant la nuit à la recherche de lumière filtrant à travers les fenêtres obscurcies. Les Haligoniens eurent également droit aux raids aériens simulés, couronnés de combats tournoyants et de passages de bombardement. Il est vrai que de tels événements bouleversent temporairement le cours normal des choses, mais ils offrent aussi de fameux spectacles. La Protection civile était en grande partie un organisme bénévole mobilisant beaucoup de citoyens dévoués à l'intérêt public. À bien des égards, elle comblait le vide causé dans la communauté et dans la vie sociale par les restrictions du temps de guerre.

Pendant ce temps, Nova Scotia Light and Power se félicitait de répondre à la demande d'électricité et de gaz naturel; malgré l'énorme augmentation de la consommation pour usage tant privé qu'industriel, l'approvisionnement de l'un et l'autre demeurait stable et fiable, en raison de l'agrandissement depuis longtemps planifié de la centrale hydroélectrique de la rivière Black (vallée de la Gaspereau) et de l'expansion du temps de guerre des installations génératrices de vapeur sur le secteur riverain d'Halifax. Le système de tramway de la ville, était toutefois dans une toute autre situation. Il s'agissait d'une entreprise désuète de tramways à trolley, exploitée par NS Light & Power, qui dépendait de tramways, de voies et d'un circuit de fils électriques aériens — tous ayant un urgent besoin d'être renouvelés. La société avait acquis des tramways additionnels, mais le système n'était toujours pas en mesure de répondre adéquatement à l'afflux de nouveaux clients provoqué par le rationnement de l'essence et l'augmentation rapide de la population. L'effort de guerre ayant besoin de fer, d'acier et de câbles électriques, il était inconcevable de penser à faire la moindre réparation de base aux réseaux de voies et de fils aériens, et encore plus à prolonger le système dans de nouveaux secteurs de la ville. Au lieu de cela, des préposés à l'entretien dans les dépôts de tramways réussirent, contre toutes espérances, à garder les roues en état de fonctionner pendant toute la guerre.

De même, le système municipal d'alimentation était désuet, pouvant à peine, en temps de paix, suffire à combler les besoins ordinaires d'une paisible ville de 65 000 habitants — pour autant que les consommateurs ne se formalisaient pas des mauvaises odeurs, de sa couleur bizarre, d'animaux occasionnels, de continuelles faibles pressions d'eau et de sporadiques concentrations élevées de coliformes. Le fait que la population ait pratiquement doublé durant les années de guerre était déjà un mal en soi, mais le besoin systématique de fournir de l'eau, en un temps record, à des convois de 50 à 100 navires asphyxiait l'antique système. La situation était grave au point de justifier une intervention du gouvernement provincial. La Commission des services publics prit le contrôle du système et en confia l'exploitation à un cabinet privé d'ingénieurs. En peu de temps, l'infrastructure fut stabilisée et améliorée suffisamment pour répondre temporairement à la demande accrue. Après la guerre, la Commission de l'eau d'Halifax, organisme politiquement indépendant, fut établie et continua d'apporter des améliorations significatives. L'efficacité globale du vieux système s'en trouva incroyablement améliorée.

Pour ceux qui s'en rendaient compte, les nouvelles-choc imprimées dans les quotidiens ou communiquées à la radio — il n'y avait ni télévision ni Internet à l'époque — prirent une allure plutôt « floue » peu de temps après la déclaration des hostilités, en septembre 1939. Rester délibérément vague sur les détails informatifs, tels les noms personnels, les événements spécifiques et les lieux géographiques — parfois les mettre entièrement à l'abri du public, mais jamais, bien sûr, des commérages — était une question d'équilibre entre le secret militaire et les libertés démocratiques. Cet exercice était effectué avec intelligence et finesse par un journaliste de carrière néo-écossais, H.B. Jefferson, dont le bureau de Censeur officiel de la presse était situé tout en haut de la tour fédérale, sur Bedford Row, et surplombait le havre. Jefferson était fier de la souplesse dont il faisait preuve, possiblement parce qu'il connaissait la majorité du corps journalistique, avec qui il avait travaillé pendant des années et, semblait-il, était respecté de tous. C'est de ce bureau également, mais de façon plutôt non officielle, qu'il notait dans un journal personnel les événements qui se produisaient dans la ville. De ses fenêtres, il captait les mouvements de la vie d'un port en temps de guerre, dans le cadre d'une remarquable série de photographies clandestines, activité qu'il se garda bien, sans doute, de révéler à qui que ce soit.

Malgré tout cela, la vie n'était pas si mal dans le « Port de la côte Est » du Canada. Somme toute, la nature humaine est optimiste et les gens finissent par se débrouiller. Il fallait se débattre pour vivre, mais on se débattait ensemble. Et, même s'ils devaient sans cesse recourir à des expédients de fortune, les gens se rendaient de plus en plus compte que tous leurs efforts et leurs privations en valaient la peine. Il y avait certes des extrêmes de richesse et de pauvreté, mais les contrastes n'étaient pas aussi flagrants que dans les grandes collectivités. De plus, pour contrebalancer les pénuries et les irritations, il y avait maintenant plein de travail — ce qui, jusqu'à tout récemment, eut été un rêve impossible pour beaucoup, surtout pour les femmes. De nouveaux horizons s'ouvraient à elles pour la première fois, sur le marché du travail tant civil que militaire, et les vieilles barrières qui avaient déjà semblé infranchissables commençaient maintenant à tomber.

Ici, dans le « Port de la côte Est » du Canada, la guerre s'est rapprochée de l'Amérique du Nord comme jamais, et la vie était tout, sauf ennuyante. En rôdant dans les rues et les ruelles, un adolescent curieux aurait pu, en quelques jours seulement, en apprendre davantage sur la vie que la plupart des adultes vivant dans un autre contexte n'auraient l'occasion d'expérimenter dans toute leur existence. En même temps, à la sortie de l'embouchure du port, le ronronnement sporadique de l'artillerie lourde faisait concurrence, la nuit, aux faisceaux réguliers et tranchants des projecteurs et, le jour, à la fumée des navires marchands torpillés, prêts à rendre l'âme.

Tout cela se termina littéralement par une explosion. La victoire alliée tant attendue en Europe fut déclarée le 8 mai 1945. Désirant organiser des festivités dans les formes, afin de commémorer les grands sacrifices des six dernières années, les autorités civiles et militaires d'Halifax furent prises de court, lorsqu'un grand nombre de résidants commencèrent à donner des signes qu'ils entendaient célébrer à leur façon. Sous l'impulsion de milliers de marins — dont la plupart d'entre eux traînaient encore dans les rues de la ville, malgré les récents efforts déployés pour leur trouver des lieux d'hébergement — le centre-ville d'Halifax fut le théâtre de vingt-quatre heures de désordre et de pillage.

De façon générale, les matelots s'intéressaient aux boissons alcoolisées et les civils, aux souliers et aux vêtements. Bien qu’il y ait eu trois morts, quelques comportements de très mauvais goût et des actes de destruction gratuits, selon les normes des années qui allaient suivre, seuls les marchands du centre-ville et la société des alcools provinciale semblent ne pas avoir partagé l'opinion générale voulant que l'on s'était « bien amusé ». Les dommages, cependant, étaient énormes — tant au niveau économique que politique. Comme une campagne électorale fédérale était en cours à ce moment-là, la MRC et son plus haut gradé local, l'amiral Leonard W. Murray — en charge du secteur occidental de l'Atlantique pour les navires alliés — payèrent les frais de ce débordement, en termes de réputation et de carrière respectivement.

Les émeutes du Jour de la Victoire s'expliquent par la combinaison de deux facteurs principaux : l'entêtement des autorités, tant civiles que militaires, et un relâchement soudain, après toutes ces années de privations, de tensions, de pressions et de frustrations contenues. De plus, il ne faut pas écarter le simple opportunisme de l'humain devant une occasion en or. Dans les semaines et les mois qui suivirent, il sembla toutefois que ces tristes célébrations étaient venues ternir à jamais les relations vieilles de 200 ans entre la marine et la collectivité. En effet, pour beaucoup de gens, les célébrations du 8 mai, avec les lois sur les alcools et les mauvais propriétaires, étaient souvent les seuls souvenirs qu'ils gardaient d'Halifax en temps de guerre. Cela prit des années avant que les événements de cette triste journée puissent être analysés sans émotions et considérés comme chose du passé.

Il restait néanmoins une dernière explosion à venir. Dans la chaleur chatoyante de fin d'après-midi, le 18 juillet 1945, quelqu'un jeta par négligence une allumette ou un mégot dans l'enceinte du magasin naval, situé sur les rives du bassin de Bedford, juste au nord de Dartmouth. Rempli au-delà de sa capacité avec des pièces d'artillerie et des munitions provenant de navires de retour au pays, le magasin prit feu et explosa dans les demi-teintes du crépuscule. Pendant les douze heures qui suivirent, le ciel et la terre tremblèrent sous le bruit terrifiant des munitions qui explosaient, et les extrémités nord de Dartmouth et d'Halifax se vidèrent de leur population, alors que les citoyens appréhendaient la « grande explosion « qui reproduirait la catastrophe de décembre 1917.

Mais le désastre ne se reproduit pas. La chance était de leur côté, et surtout les pompiers locaux, auxquels se joignirent des cargaisons de membres de la MRC. Par leurs courageux efforts, ils réussirent ensemble à venir à bout des coteaux enflammés. Le bruit sourd des hangars et des charges qui explosaient finit par s'éteindre au petit jour. Les efforts dévoués des membres de la MRC en particulier sauvèrent la communauté et, d'une certaine façon, permirent de restaurer les liens quelque peu abîmés entre la marine et les civils.

Ainsi se terminait une aventure de six ans pour l'ubiquiste « Port de la côte Est » du Canada. Beaucoup de choses avaient changé. Les Haligoniens furent d'abord exagérément sensibles au manque de reconnaissance d'un grand nombre de personnes qui étaient passées par leur ville durant ces années très occupées et n'avaient pas remarqué les immenses sacrifices personnels des citoyens ordinaires, le formidable engagement public et la courtoisie qui avait été témoignée aux visiteurs. Des années plus tard, les résidants locaux semblaient tirer beaucoup moins de fierté de leurs sacrifices, et ils se rappelaient seulement que la plupart des visiteurs du temps de guerre étaient venus dans leur ville et en étaient repartis en traînant avec eux des ressentiments, qu'ils répandaient à la ronde, à l'égard des loyers exorbitants, de l'indigence, de l'austérité des samedis soirs et des étranges lois sur l'alcool. Cela prit beaucoup de temps avant que ces perceptions ne s'évanouissent, tant à l'échelle locale que nationale. Entre-temps, la population avait pris la détermination toute nouvelle de bâtir une communauté renouvelée et moderne, digne des six dernières années de difficultés — une ville qui rendrait pleinement justice aux longues années de privation, d'inconfort et de bouleversement.

Si vous avez vécu à Halifax au cours de ces six longues années, excellent retour au « bon vieux temps ». Ce que vous verrez sur ce site réveillera certainement en vous des souvenirs. Si vous n'avez pas vécu à Halifax, entrez et laissez-vous transporter dans une autre époque et un autre lieu, un monde en noir et blanc à bien des égards, un monde dont l'objectif était clair et où personne ne quittait la maison à moins de s'être mis sur son trente-et-un. Malgré les couches de censure officielle qui étouffèrent en grande partie la vérité pendant de nombreuses années, des brèches se sont maintenant ouvertes dans la cuirasse de silence, assez larges pour permettre un coup d'œil instructif sur une véritable communauté de temps de guerre. Halifax s'est démarquée de toutes les autres régions d'Amérique du Nord pendant six longues années. Une nouvelle génération d'esprits curieux a maintenant accès à une série de photos, séquences filmées et documents qui lui ouvrira une fenêtre sur une époque presque oubliée de l'histoire d'un monde lointain, connu comme le « Port de la côte Est » du Canada.

Bonne visite!

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